Traité de réconciliation de la ville de Tournai

30 novembre 1581


Présentation

En 1579, la ville de Tournai maintient sa fidélité vis-à-vis des Etats Généraux en refusant l’adhésion aux Unions d’Arras et d’Utrecht. Elle se retrouve rapidement menacée par la reconquête espagnole menée depuis 1580 par le nouveau gouverneur général des Pays-Bas, Alexandre Farnèse. Après deux mois de résistance animée par l’épouse du gouverneur Pierre de Melun, prince d’Epinoy et nouveau chef de l’armée des Etats Généraux, la ville négocie sa reddition en novembre 1581. Le traité de réconciliation qui en résulte illustre les nouvelles voies de la pacification appliquées par Philippe II et Farnèse, en particulier l’autorisation de départ pour les réfractaires.

Yves Junot


Source

Archives Générales du Royaume, Bruxelles, Etat et audience n°591, f°36v-37

Texte

Traicté de réconciliation de la ville et cité de Tournay du dernier de novembre 1581

Son Alteze ayant vue les trois escriptz à elle présentez par la princesse d’Espinoy,
le sieur d’Estraielles, ceulx du magistrat et consaulx de la ville de Tournay
et des capitaines, officiers et soldatz tant estrangiers que dedens y estans, respond :

Premièrement quant à ladicte princesse, que désirant la gratiffier et honorer
en tous endroictz, il n’est besoing d’aultre traicté en son regard sinon que trèsvolentiers
elle luy accorde qu’elle puist sortir avecq tout son train et emporter tous les biens
à son mary, elle et ses gens appertenans.

Semblablement accorde audict sieur d’Estrayelles qu’il puisse avecq sa femme, enffans et
famille, armes, chevaulx et meubles, se retirer là part où il trouvera convenir
soit par batteau qu’il vouldra choisir en la ville ou aultrement

Et au regard des capitaines officiers et soldatz tant estrangiers que naturelz soit de
la ville ou du chasteau, Son Alteze les veullans favorablement traicter, leur accorde
de se retirer avecq leurs enseignes sur l’espaule, armes mesche ardante,
tambourin, biens et bagaiges à eulx appertenans qu’ilz pourront porter et emmener
quant et eulx, déclarant quant aulx bleschez et malades qui pour infirmité ne
polront présentement sortir, son intention estre quant ilz se porteront mieulx, qu’ilz joyssent
de mesme bénéfice que leurs compaignons, et que aux ungs et aux aultres sera donné
passeport et convoy pour les conduire jusques à ce qu’ilz soient hors de dangier.

Touchant le faict de ceulx de la ville et les poinctz par eulx représentez, Son Alteze pour
en peu de parolles leurs faire entendre son intention, et pour éviter toutes obscuritez,
déclaire qu’elle est contente recevoir tant ladicte ville en général que tous les bourgeois
en particulier en la bonne grâce du Roy et sa sauvegarde et protection, oubliant et pardonnant au nom de sadicte Majesté tous et quelzconcques mesuz et offences contre elle commises de quelque qualité qu’elles soient, sans que aucuns d’eulx en puissent à l’advenir estre recerchez soit pour port d’armes, fortiffication, rumpture des murailles, fabrication de faulse monnoye ou aultres quelz qu’ilz soyent.

Qu’elle maintiendra tous anchiens previlèges et coustumes de ladicte ville sans souffrir
qu’ilz soyent enfrains en fachon que ce soit.

Que tous les bourgeois pouront librement demeurer en ladicte ville et joyr de leurs
biens tant meubles que immeubles, pourveu qu’ilz vivent sans scandal et selon
les justes et légittimes ordonnances de Sa Majesté sans les povoir particulièrement
recercher.

Que ceulx qui ne vouldront se soubzmettre et vivre selon lesdictes ordonnances
se pourront retirer la part qui mieulx leur semblera endedens terme raisonnable
que par son Alteze leur sera préfigé, emportans leurs biens quant et eulx.

Tout ce que dessus moyennant quoy rendra et remettra promptement es
mains de sadicte Alteze au nom de sadicte Majesté ladicte ville avecq le chasteau, artillerie
et toutes aultres munitions de guerre en leur entier, recognoissant le Roy
pour leur prince naturel et seigneur souverain, et luy rendant la juste et
deue obéissance, et que oultre ce, pour partie de fraiz icy supportez et
donner quelque satisfaction aux gens de guerre, ilz payeront deux cens mille
florins dedens le temps qui, puis après par amiable communication avecq lesdicts
du magistrat et consaulx, sera advisé.

Pour le furnissement de laquelle somme ilz polront tauxer généralement tous les
bourgeois et manans soit qu’ilz demeurent ou qu’ilz se retirent, afin de garder
entre eulx égalité comme il convient.

Promettant en oultre sadicte Alteze en foy de prince et sur son honeur de traicter
doresenavant lesdicts bourgeois avecq toute doulceur et humanité, sans ny pour le présent
ny pour ladvenir les surcharger de garnison non plus avant que la nécessité et
seureté de ladicte ville le requerra, et oultre ce donner tel ordre au faict de la
police que ung chacun aura juste occasion de contentement, faict au camp
devant Tournay le dernier jour de novembre 1581.

Depuis ha sadicte Alteze accordé que les bourgeois de ladicte ville qui vouldront se
retirer en lieu neutre et non ennemy de Sa Majesté pourront joyr de leurs immeubles,
meubles, rentes, et les faire administrer par gens résidens en ladicte ville.

D’avantaige comme il y a prisonniers d’ung costel et d’aultre prins durant ce siège,
ilz se rendront réciprocquement, accordant Son Alteze de semblablement rendre
ceulx prins à Sainct-Gislain, desquels elle n’a encoires disposé, comme aussy ledict
seigneur d’ Estrayelles rendra tous les prisonniers non soldatz qui n’auront convenu de
leur ranchon avant le jour d’hier, luy permettant Son Alteze d’emmener quant et
luy les aultres desià miz à ranchon sy avant qu’ilz la payent promptement ou donner
respondant en ladicte ville, faict le jour que dessus, le tout payant chacun ses
despens, signé Alexandre, et plus bas est escript par ordonnance de Son
Alteze, signé F. Le Vasseur.