L'Inquisition aux Pays-Bas


 

Linquisition, tribunal ecclésiastique spécialisé en matière dhérésie, a fait son apparition aux Pays-Bas au Moyen Age comme dans le reste des pays européens. Elle sy est toujours trouvée sous lautorité des évêques sans avoir pour autant une action spectaculaire jusquà ce que la montée du protestantisme dans le pays n'incite lEmpereur Charles Quint à la  réintroduire  afin de lutter contre les hérétiques. Avec la remise en fonction de lInquisition, lEmpereur se dotait, sans aucun doute, dune arme remarquable contre la diffusion du mouvement protestant. Mais la structure de lInquisition ainsi que ses missions devaient être redéfinies afin que son fonctionnement soit adapté aux exigences de lEmpereur qui voulait à tout prix fonder le contrôle de linstitution. Le système inquisitorial, renforcé par les placards1, prit alors des allures différentes comparé à ce quavait été linquisition médiévale aux Pays-Bas.
        La législation contre lhérésie commena par linterdiction des écrits de Luther en 1517, suivie dédits et dordonnances contre Luther, ses adeptes et ses écrits. En 1521, lévêque de Cambrai accorda les pleins pouvoirs inquisitoriaux à Nicolas dEgmont et à Jacques Masson, dit Latomus. Lannée suivante, Charles Quint nommait Franois Vander Hulst un membre du Conseil du Brabant comme inquisiteur général des Pays-Bas. Lhérésie était une affaire relevant normalement de la compétence de lEglise ou il appartenait aux évêques de soccuper du jugement des hérétiques. Les coupables nétaient livrés au bras séculier que lorsquune sentence, notamment une condamnation à mort, devait être exécutée. Mais il est évident quen nommant un inquisiteur général, Charles Quint marquait son intention de créer une inquisition dEtat, une institution quil connaissait très bien grâce à lexemple espagnol, puisque le recours en dernière instance au bras séculier nétait pas suffisant pour le contrôle de lhérésie par le souverain. Toutefois, la régence dû démettre Hulst de ses fonctions en 1524 à la suite des pressions exercées par les Etats Généraux qui le jugèrent très sévère et malhonnête.
        Une autre nouveauté qui affecta directement lactivité inquisitoriale fut la redéfinition du crime de lhérésie. En effet, ce crime devint un crime de lèse majesté, ce qui était très différent de la conception traditionnelle de lhérésie considérée surtout un crime religieux. Cette transformation fut un moyen de politiser et de séculariser un crime religieux, et en même temps de sassurer son contrôle par le souverain. Par ailleurs, le système inquisitorial des Pays-Bas était un système complexe, constitué de trois niveaux : inquisition apostolique, inquisition diocésaine et inquisition civile. Cette situation posait un problème surtout au niveau des domaines de compétences. Ceux-ci nétant pas bien définis, le bon fonctionnement du système dépendait plutôt de la collaboration entre ces trois inquisitions. Or, les différentes instances de cet ensemble complexe étaient en pleine lutte de pouvoir.
        La volonté de Charles Quint dimpliquer les instances civiles dans le processus de jugement des hérétiques au-delà du cadre qui leur était réservé à lépoque médiévale ne sexplique pas seulement par la volonté de lEmpereur de contrôler cette arme redoutable, mais également par linefficacité de lorganisation diocésaine aux anciens Pays-Bas où le nombre des évêques restait insuffisant et les circonscriptions de ces derniers souvent trop larges pour pouvoir assurer un bon contrôle du territoire. De plus, certaines parties des provinces flamandes dépendaient des compétences des évêques étrangers, notamment franais. Cest la raison pour laquelle Philippe II, juste après son avènement en 1555, entreprit une réforme de lorganisation diocésaine aux Pays-Bas, une réforme déjà voulue par lEmpereur lui-même. Cette réforme prévoyait létablissement de nouveaux évêchés et une meilleure répartition dans le territoire. Mais dès quelle fut connue du grand public, elle fut condamnée et contestée. La manière dont elle fut imposée au pays déclencha aussitôt un vif conflit politique. En effet, Philippe II avait veillé à ce que cette réforme soit tenue secrète jusquà lapprobation du Pape, nen faisant un objet de discussion ni au Grand conseil ni aux Etats-Généraux, et écartant ainsi ces deux institutions du processus de décision. En revanche, la contestation la plus spectaculaire peut-être aussi la plus spéculative fut déclenchée par le contenu de la réforme dans la mesure où les Flamands ny voyaient quun seul but : établir linquisition espagnole aux Pays-Bas.
Linquisition espagnole ne fut en fait jamais installée aux Pays-Bas, mais cette éventualité, concrétisée aux yeux des Flamands par létablissement des nouveaux évêchés, provoqua une contestation visible et puissante de toute la politique religieuse de Philippe II et de son administration aux Pays-Bas. Les démarches de la noblesse ainsi que des pouvoirs locaux auprès du souverain, Philippe II, et de la gouvernante, Marguerite de Parme, pour obtenir une modération de la législation contre les hérétiques et labolition de linquisition se multiplièrent, mais furent sans résultats satisfaisants jusquen 1566, lannée où des édits de modération des peines virent le jour.
        Cependant, la même année fut également celle du mouvement iconoclaste des réformés malcontents mirent à sac les églises catholiques -, mouvement qui incita la gouvernante à renforcer les mesures répressives contre le protestantisme. Larrivée du duc dAlbe, envoyé aux Pays-Bas avec une armée par Philippe II pour rétablir lordre dans le pays, et son administration furent marquées par une politique religieuse intransigeante. Linstallation du Conseil des Troubles, tribunal civil dexception ou inquisition civile dexception comme le souligne Aline Goosens mit en veille une partie du système inquisitorial, notamment linquisition apostolique. Ce tribunal, qui assura une répression politico-religieuse plus centralisée, fonctionnait quand-même en collaboration avec dautres instances judiciaires, notamment avec les autorités locales, mais il mit fin au système inquisitorial utilisé par Charles Quint et Philippe II. Le Conseil des Troubles fut aboli en 1576 et la Pacification de Gand signée en 1576 entre les provinces du sud et celles du nord établit une trêve religieuse qui officialisa la même année la disparition des inquisiteurs apostoliques. Ceci ne voulait pas dire la fin de linquisition puisque les inquisitions civile et épiscopale restèrent en place au sud des Pays-Bas jusquen 1633, mais ces dernières finirent par devenir totalement obsolètes après cette date.


1 Les placards sont les textes, affichés, destinés à informer le public sur un sujet précis. Aux Pays-Bas, quand on parle des placards, on fait surtout référence aux lois contre les hérésies.

Bahar TURKOGLU

Bibliographie

DUVERGER Arthur, LInquisition en Belgique, Gilon, 1879.

FREDERICQ Paul, Dissertations sur lhistoire des Pays-Bas au XVIe siècle (Fascicule 2 Contribution à lhistoire des inquisiteurs des Pays-Bas au XVIe siècle, Table chronologique des registres sur le fait des hérésies et inquisition), J. Vuylsteke, Gand, 1883-84.

GOOSENS Aline, Les inquisitions modernes dans les Pays-Bas méridionaux : 1520-1633, La législation, Tome I, Les inquisitions modernes dans les Pays-Bas méridionaux : 1520-1633, les victimes, Tome II, Luniversité de Bruxelles, 1998.